La climatologie au service de la santé
La méningite à méningocoque est une infection des fines membranes qui enveloppent le cerveau et la moelle épinière. Sans un traitement approprié, la moitié des malades risque de mourir. Chez les survivants, l'Organisation Mondiale de la Santé déplore une fréquence élevée de séquelles sévères (10 à 20% des cas) telles que, des lésions cérébrales, pertes auditives, troubles de l'apprentissage. Cette maladie bactérienne se transmet facilement par voie aérienne, via des gouttelettes de salives transportées dans la toux ou la parole. Elle affecte plus particulièrement les pays de la bande tropicale située au nord de l'Afrique. Les premières études ont permis de mettre en évidence une corrélation entre sa distribution géographique et le taux d'humidité de l'atmosphère. La ceinture géographique des méningites à méningocoque est limitée au sud par une pluviométrie dépassant 1200 mm par an, l'humidité étant un facteur limitant. Au nord, l'épidémie s'éteint avec la diminution de densité de population. Ainsi, la méningite à méningocoque a été considérée dès les années 1960 comme une maladie climato-sensible.
Dès lors, il semblait judicieux de surveiller par télédétection les facteurs climatiques et environnementaux en lien avec son évolution. Outre l'humidité, le vent et les poussières atmosphériques sont très tôt suspectés d'être des facteurs aggravant la situation épidémiologique. Au Centre de recherches de climatologie, Nadège Martiny et son équipe ont fait le lien entre les quantités de poussières accessibles notamment grâce aux produits satellitaires d'AQUA/MODIS, et l'évolution du nombre de cas de méningites dans 15 pays de la ceinture, enregistrée dans les bulletins de surveillance de l'Organisation Mondiale de la Santé entre 2004 et 2014. "Afin de caractériser au mieux les poussières désertiques, les épaisseurs optiques des aérosols issues des produits satellitaires, intégrés sur la colonne atmosphérique, ont été raccrochés aux mesures réelles de concentrations des particules sur le terrain", précise Nadège Martiny. L’exploitation de l'ensemble de ces données a permis de repérer que les méningites augmentaient significativement une à deux semaines après le passage d'un vent de sable et que les pays les plus touchés par ces vents de sable étaient également ceux dans lesquels le nombre de cas étaient les plus importants.
d'abord la Poussière, ensuite les méningites
LLes poussières transportées par les vents de sable ne sont pas directement responsables de la maladie. Avec un diamètre inférieur à 10µm, ces poussières sont beaucoup moins grosses qu'un grain de sable et peuvent facilement être inhalées. En s'immisçant dans le système respiratoire, elles en irritent les membranes. Ainsi fragilisées, les muqueuses du système rhinopharyngien ne peuvent plus résister au passage des bactéries les plus susceptibles de provoquer des épidémies, telles que les bactéries Neisseria meningitidis. Celles-ci infectent le système sanguin puis le cerveau et la moelle épinière. Le temps d'incubation est d'une à deux semaines, précisément le laps de temps identifié par l'équipe de Nadège Martiny entre les vents de sable et les épidémies.

Figure 2. Lien entre méningite, aérosols et humidité au Niger. En grisé, le nombre de cas de méningites. En noir, les variations des épaisseurs optiques des aérosols (AOT 440). En bleu, un proxy de l’humidité spécifique dans l’air. (Martiny & Chiapello 2013)
La corrélation entre poussières et méningites ayant été démontrée et chiffrée, l'équipe cherche maintenant à définir des cartes de risques environnementaux dynamiques pouvant servir aux acteurs locaux de la santé publique. Le seul moyen de sauver des vies et réduire les complications est la prise d'antibiotiques moins de 48h après les premiers symptômes. Or les zones les plus touchées sont à la fois isolées et pourvues de moyens médicaux restreints. L'accès rapide à un traitement étant compromis, une vaccination anticipée est le meilleur levier d'action. C'est au niveau d'un "district sanitaire" que la vaccination est envisagée prioritairement. Désormais, c'est à cette échelle spatiale que Nadège Martiny et ses collaborateurs tentent de trouver un indicateur hebdomadaire des risques de méningite liés aux poussières. Pour ce faire, ils se basent, entre autres, sur les produits satellitaires de l'instrument CALIOP qui est à bord de la mission spatiale CALIPSO. Ce Lidar fournit des profils verticaux des nuages et aérosols dont la haute résolution permettrait d'affiner le travail déjà engagé avec MODIS.
Ce travail pourrait également servir à la prévention des maladies respiratoires infectieuses (asthmes, etc.), c'est l'objectif du projet TELEPaf. La même équipe scientifique développe par ailleurs une approche similaire en Amérique du sud avec pour objectif de produire des indicateurs spatialisés du risque de transmission de la dengue. Le CNES soutient également des travaux de télé-épidémiologie portant sur des maladies vectorielles telles que le paludisme, le zika, la dengue (maladies transmises par des moustiques) et le virus Nipah (maladie transmissible via la chauve-souris) mais aussi sur des maladies liées à l’eau (maladies diarrhéiques d’origine bactérienne) ou à l’air (risque allergique au pollen d'ambroisie). Affaires à suivre.
Contact
Nadège Martiny
Climatologie et Télédétection – Variabilité climatique, Aérosols et Impacts sanitaires
UMR6282 BIOGEOSCIENCES, équipe Centre de recherche de climatologie, CNRS/Université de Bourgogne
Courriel : nadege.martiny at u-bourgogne.fr
Tel : +33 (0)3 80 39 38 21