9 Mai 2016

La mission Calipso fête ses 10 ans !

Retour sur une décennie riche en émotions et en résultats scientifiques majeurs avec Jacques Pelon, directeur de recherche CNRS au LATMOS et « investigateur principal » français de CALIPSO.

Depuis 2006, le laboratoire « Atmosphères, milieux, observations spatiales » (LATMOS, CNRS/UPMC/UVSQ) participe activement à la mission CALIPSO (Cloud-Aerosol Lidar and Infrared Pathfinder Satellite Observations) dont le satellite éponyme a été mis en orbite par la NASA et le Cnes. Retour sur une décennie riche en émotions et en résultats scientifiques majeurs avec Jacques Pelon, directeur de recherche CNRS au LATMOS et « investigateur principal » français de CALIPSO. Hausse des températures, élévation du niveau moyen des mers, fonte des glaciers, renforcement possibles des zones arides et des précipitations… les signes du réchauffement climatique sont perceptibles dans tous les recoins de la planète. Cette mission a permis de mieux comprendre certains mécanismes en jeu ce qui doit conduire à prévoir plus précisément les changements climatiques et les variations décennales. Et si les nuages et les aérosols étaient en partie responsables de ces phénomènes ?

La complexité des effets combinés des nuages et des aérosols

Au fil des décennies, nuages et aérosols (fines particules en suspension dans l'atmosphère) sont devenus un objet d’étude privilégié pour les climatologues en liaison avec les questions environnementales. Or, les nuages se suivent mais ne se ressemblent pas… S’ils jouent un rôle de tout premier plan dans le déclenchement des précipitations, leur influence sur le fonctionnement de la machine climatique est considérable. Les nuages renvoient une partie du rayonnement solaire vers l'espace, c’est l’effet parasol. À l’inverse, au cours de la nuit, la Terre qui n'est plus chauffée par le Soleil, se refroidit en rayonnant dans l'infrarouge. Les nuages qui bloquent ce rayonnement agissent comme un isolant vis-à-vis de la surface, c’est l'effet de serre. En l’absence de nuages (nuit claire), on observe de fortes gelées matinales.

p11124_24f0d97cfb8dbf63b2df0a808f3e2446CALIPSO1.jpg
Une illustration du satellite Calipso1

Représentation de la plateforme CALIPSO. © CNES - juillet 2004 P. CARRIL

bpc_calipso-cloud-type-id-airs-jin-nasiri-2014.jpg

Comparaison des distributions globales des nuages suivant leur phase observées par AIRS et CALIPSO au sein de l'A-Train. Du fait de la sensibilité plus grande de CALIPSO, les nuages en phase liquide sont mieux identifiés alors qu'ils sont classés en grande partie comme indéterminés par AIRS. CALIPSO permet de mieux identifier les nuages de phase mixte qui représentent un enjeu majeur pour les modèles (d'après Jin et Nasiri, 2014). Jin, H. and S. L. Nasiri, 2014: “Evaluation of AIRS cloud thermodynamic phase determination with CALIPSO”, J. Appl. Meteor. Climatol., 53, 1012–1027, doi:10.1175/JAMC-D-13-0137.1.

Les aérosols quant à eux, jouent plusieurs rôles. Ils modulent directement le bilan radiatif global en refroidissant la surface par effet parasol, mais ils ont aussi un rôle essentiel sur le cycle nuageux et sur leurs propriétés microphysiques. L’augmentation du nombre de particules peut ainsi conduire à une forte réduction de la taille des gouttelettes nuageuses dans les nuages chauds (eau liquide) réduisant à son tour le taux de précipitation. D’autres effets plus complexes peuvent jouer pour les nuages froids (eau sous forme de glace ou en phase mixte).

Le satellite CALIPSO, un « A-Train d’avance »

Les modélisateurs se sont longtemps heurtés à des difficultés de représentation des nuages et des aérosols dans les modèles numériques de prévision. Il leur fallait donc disposer d'une représentation exacte des processus en jeu au sein de l'atmosphère et des interactions entre l'atmosphère, l'océan et la biosphère. C’est ainsi qu’a germé en 1998 le projet CALIPSO (Cloud-Aerosol Lidar Infrared Pathfinder Satellite Observations), fruit d'une coopération internationale entre la NASA, le CNES, et l'institut Pierre-Simon Laplace.

a-train_mid-2014.png

Composition actuelle de la constellation A-Train au centre de laquelle se trouve le satellite CALIPSO. D. R.

Le 28 avril 2006, embarqué à bord de la fusée américaine Delta 2, le satellite CALIPSO a rejoint avec CloudSat trois autres satellites déjà en orbite, Aqua et Aura de la NASA, ainsi que le microsatellite du CNES Parasol, pour former la constellation « A-Train ». Aqua, CALIPSO et CloudSat volent ensemble à seulement quelques dizaines secondes d'écart.

Les instruments embarqués

Entièrement dédié à l'observation des nuages, des aérosols et du cycle de l'eau, cet observatoire exceptionnel a mis en oeuvre toutes les techniques de mesures actuellement disponibles depuis l'espace, donnant ainsi accès à la première vision en 3D de l'atmosphère terrestre.

bpc_calipso-assemblage-instruments.jpg

Assemblage des instruments de CALIPSO autour du télescope de 1 m à Ball-Aerospace (Boulder, USA). © Ball Aerospace

Le laboratoire « Atmosphères, milieux, observations spatiales » (LATMOS, CNRS/UPMC/UVSQ) et le laboratoire de météorologie dynamique (LMD, CNRS/UPMC/École Polytechnique/ENS) ont participé à la définition des instruments embarqués. Son instrument principal, un lidar rétrodiffusion conçu par la NASA et la société américaine Ball Aerospace, émet des impulsions lumineuses vers la surface de la Terre qui se réfléchissent sur les couches de l'atmosphère dont elles captent ainsi les différentes signatures. Un imageur infrarouge multispectral réalisé en France par SODERN et le CNES et une caméra visible (réalisée à la NASA) complètent la charge utile en fournissant le contexte spatial de la mesure acquise par le lidar. La charge utile a été intégrée sur la plateforme à Cannes par Thalès-Alenia Space avant d’être renvoyée aux États-Unis pour le lancement.

bpc_calipso-saharan-dust-transport-liu-2008.jpg

Coupes verticales journalières de diffusion particulaire réalisées par le lidar CALIOP (entre le 17 et le 23 août 2007) permettant d'identifier les couches d'aérosols désertiques et validation par lidar aéroporté les 25 et 28 août 2017. Les orbites consécutives permettent d'étudier le transport depuis l'Afrique vers l'Amérique centrale (identification des trajectoires en rouge). L'altitude maximale des principales couches de particules désertiques (dust) transportées vers l'ouest décroît de 4-5 km vers les côtes africaines jusqu'à moins de 2 km sur les Caraïbes (d'après Liu et al., 2008). Liu, Z., D. Liu, J. Huang, M. Vaughan, I. Uno, N. Sugimoto, C. Kittaka, C. Trepte, Z. Wang, C. Hostetler, and D. Winker, 2008: “Airborne dust distributions over the Tibetan Plateau and surrounding areas derived from the first year of CALIPSO lidar observations”, Atmos. Chem. Phys., 8, 5045-5060, doi:10.5194/acp-8-5045-2008.

Les instruments d’observation passifs déterminent les propriétés optiques des aérosols et des nuages intégrés sur une colonne atmosphérique à partir de la mesure du flux solaire diffusé ou de l’émission infrarouge tellurique. Les lidars rétrodiffusion sont quant à eux des systèmes actifs de télédétection constitués d'une source laser permettant de mesurer avec précision la hauteur et les propriétés radiatives des nuages et des couches d’aérosols. Les mesures infrarouge permettent quant à elles d’améliorer la restitution des propriétés optiques et microphysiques des nuages. Ces deux informations permettent d'améliorer la restitution des nuages telle qu'elle est obtenue par imagerie satellitaire classique (ici avec Aqua et Aura). Si Parasol a été arrêté en 2013, de nouveaux satellites ont depuis rejoint la constellation A-Train, lancés par l’Agence spatiale japonaise (mesures micro-ondes par AMSR-2), ou la NASA (OCO-2 pour la mesure du gaz carbonique).

Des résultats d’intérêt majeur pour les modèles météorologiques et climatiques

Depuis 10 ans, CALIPSO fournit un jeu de données uniques : profils verticaux de l'atmosphère terrestre avec 30m de résolution, localisation géographique, altitude et propriétés optiques des couches nuageuses et des aérosols. Les données de CALIPSO ont ainsi été utilisées pour valider les modèles numériques de climat mis en oeuvre dans le cadre des travaux du GIEC.

Grâce au couplage entre les observations de l’A-Train, et en particulier entre le lidar CALIOP et le radar nuage de CloudSat, la restitution des forçages radiatifs induits est plus précise, avec une meilleure détermination des altitudes et des épaisseurs optiques des couches, et à l’identification de couches multiples. La mission CALIPSO joue un rôle essentiel dans cette approche, car elle permet de cibler les aérosols, les nuages de glace optiquement fins, mais aussi les nuages de phase mixte de grande importance pour le bilan radiatif global.

Les missions de l’A-Train ont également permis l'étude de la répartition globale des aérosols atmosphériques, qu'il s'agisse de l'observation d'aérosols troposphériques (feux de biomasse soulèvement et transport de poussières du Sahara ou événements de pollution), ou d'aérosols volcaniques, en particulier après des éruptions puissantes (par exemple en Europe l’éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull en 2010). Comme pour les nuages, le principal atout du lidar est de fournir une mesure directe de l'altitude et du coefficient d’extinction des aérosols volcaniques, pouvant poser un problème à la circulation aérienne. Les mesures infrarouges permettent ensuite d’identifier plus précisément la concentration des particules présentes. Ces informations sont utiles au transport aérien.

bpc_calipso-figure3-volcan.jpg

Représentation spatiale (latitude/longitude) en fausses couleurs du panache volcanique observé au-dessus des stratocumulus au sud de l’Islande par l’imageur infrarouge SEVIRI/MSG (en haut à gauche) et mesures verticales de CALIPSO (lidar CALIOP au milieu et imageur IIR en dessous) effectuées lors du passage (orbite reportée sur l’image SEVIRI) après l’éruption du volcan Eyjafjallajokull le 7 mai 2010. Les régions marquées #1, 2, 3 sur l’image SEVIRI correspondent à celles reportées sur les mesures de CALIPSO. Les analyses couplées entre CALIOP et IIR permettent de déduire les épaisseurs optiques IR (reportées dans les 3 canaux 8,65, 10,60 et 12,05 µm) et les propriétés microphysiques du panache volcanique (zones #2 et 3 marquées V) et des nuages probablement formés sur les particules volcaniques (#1).

L’aventure prévue pour durer trois ans a été prolongée plusieurs fois depuis 2009. Si tout va bien, elle devrait continuer jusqu’en 2018, peut-être plus… avant l’extinction définitive des moteurs… et des lasers. Mais d’autres missions doivent prendre la relève !

Source

Article paru sur le site de L'UPMCLes nuages et les aérosols vus du ciel…

Lire aussi

Article paru sur le site du Centre de Recherche Langley de la NASA : "CALIPSO Celebrates 10 Years of Cloud Observations from Space" (en anglais)